“La vieillesse est si longue qu’il ne faut pas la commencer trop tôt.” – Benoîte Groult.

Lors de notre pratique quotidienne, nous sommes souvent confrontés à des patients d’un certain âge, ayant accumulé l’une sur l’autre, et depuis de nombreuses années, toutes sortes de pathologies fonctionnelles. Le cas du patient âgé, polypathologique, se présentant chez nous en dernière instance à la recherche du traitement ostéopathique miraculeux qui va mettre fin à des années de souffrance est tellement courant que nos consœurs et confrères ne pourront qu’esquisser un hochement de tête, accompagné d’un relèvement de sourcils et d’un sourire moitié affligé, moitié approbateur…

À titre d’exemple, nous avons récemment reçu en consultation une dame, la soixantaine finissante, charmante et au sens de l’humour certain. Cette patiente venait en consultation car sa fille lui avait « un peu forcé la main » en lui payant les deux premières séances. Elle lui avait également dit, toujours selon notre patiente qui par l’humour cherchait peut-être à cacher une forme de détresse, qu’elle était « dans un tel état de ruine qu’elle ferait la joie de n’importe quel étudiant en archéologie »… À l’anamnèse nous avons pu constater que, depuis une quinzaine d’années, cette dame avait stoïquement cumulé douleurs sur gênes sur dysfonctions, sans autre thérapie qu’un « esprit positif », selon ses dires, et parfois un antidouleur de type paracétamol comme automédication, mais uniquement de temps à autre car elle « ne veut pas s’habituer aux médicaments ».

L’examen clinique fut laborieux, la patiente avait de la peine et souffrait lors de tout mouvement. Selon son récit, quinze années auparavant, une importante entorse à la cheville droite, non soignée médicalement, avait été suivie par une douleur au genou gauche, gonalgie qui s’accompagna rapidement d’une lombalgie récurrente, puis d’une cervicalgie, puis d’une douleur à l’épaule droite, puis d’une irradiation douloureuse vers le bras… Ces problèmes l’empêchaient désormais de pratiquer la marche quotidienne qu’elle aimait tant, de rester trop longtemps debout ou assise, ou de dormir correctement. Mais toujours selon elle, ces diverses difficultés ainsi que ses récents et fréquents oublis, fatigue, problèmes digestifs, perte de l’appétit et difficultés à se concentrer, devaient être considérés comme normaux car vu son âge, « on ne fait pas du neuf avec du vieux ! ».

Comment faire comprendre aux personnes avançant en âge que vieillir n’est pas fatalement synonyme de souffrance, que l’on peut vieillir en harmonie, en bonne santé ? Que vieillir sans perte d’autonomie ni limitations fonctionnelles est souvent possible par des traitements adéquats, et que la prévention doit être une absolue priorité ? En prenant en considération qu’aujourd’hui, il est scientifiquement démontré que seul un quart de nos gènes a une expression fixe tout au long de notre vie, tandis qu’un autre quart a une expression modulable selon nos conditions et habitudes de vie (aspects circonstanciels sur lesquels nous avons peu de prise, comme le sexe, le lieu de vie, le niveau de richesse, etc.), mais qu’enfin, l’expression de la moitié de nos gènes est modifiable par la nutrition, les activités physiques, la prévention et la préservation consciencieuse de nos capacités fonctionnelles !

Comment leur faire saisir également qu’une « banale » entorse, lorsqu’elle n’est pas soignée, peut modifier leur posture au point d’entrainer davantage de pressions sur un compartiment du genou, qui avec le temps deviendra douloureux voire arthrosique, et qui pour éviter une certaine charge, provoquera une compensation de la colonne lombaire, laquelle deviendra à son tour douloureuse et déclenchera d’autres multiples compensations algiques dans cette structure interdépendante qu’est le corps humain ?

Finalement, comment leur faire prendre conscience des importantes répercussions négatives sur le mental d’un corps qui souffre ? De telles répercussions peuvent être observées au niveau de la cognition en général (et n’oublions pas que les compétences cognitives sont essentielles à l’épanouissement de la personne), mais aussi plus particulièrement au niveau de la mémoire, car il existe une corrélation positive, maintes fois démontrée, entre les plaintes physiques et les plaintes cognitives et mnésiques. La souffrance physique peut également avoir un impact négatif considérable sur l’humeur, par l’influence délétère des dysfonctions somatiques sur l’anxiété, la dépression ou le stress.

Une consultation ostéopathique à partir de 55-65 ans, à la fois préventive et thérapeutique, est très fortement recommandée. Cette consultation intégrera non seulement un contrôle des fonctions articulaires, musculaires, neurologiques et d’autres fonctions des différents systèmes, mais également une évaluation simple de l’audition, de la vision, des facultés olfactives, de l’équilibre (temps de station unipodale par exemple), des fonctions cognitives, des interactions sociales et de l’état thymique (humeur). Cette consultation complète, ou évaluation gériatrique standardisée (EGS) avec son suivi thérapeutique correspondant, a démontré dans de nombreuses études qu’elle améliorait la survie et le maintien des capacités fonctionnelles des personnes vieillissantes. Elle constitue ainsi un élément essentiel d’un dispositif de prévention efficace.

L’ostéopathe avec son toucher fin, tel un bon horloger, inspectera de la tête aux pieds tous les « rouages » de la mécanique corporelle, ajustera ce qui doit être ajusté et donnera du mouvement aux pièces « grippées », afin que cette extraordinaire mécanique humaine fonctionne en harmonie. Pour de meilleurs résultats thérapeutiques, il demandera également une participation active du patient dans les soins, et ne négligera pas de l’informer sur les processus pathologiques, voire de lui dispenser l’éducation correspondante pour prévenir ou améliorer telle ou telle pathologie. Il prendra également en considération la dimension sociale, en interrogeant notamment le patient sur sa vie quotidienne, ses loisirs, et ses rapports avec sa famille et ses proches. Finalement, en cas de suspicion d’un problème organique, l’ostéopathe pourra orienter le patient vers des examens complémentaires.

Cette vision holistique intègre donc le modèle mécanique ostéopathique avec le modèle biopsychosocial, une approche qui fait aujourd’hui référence dans le domaine médical, et se révèle significativement plus efficace que le modèle biomédical qui l’a précédée, que ce soit en termes de diagnostic ou de thérapeutique. N’oublions pas que l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) définit aujourd’hui la santé comme un « état de complet bien-être physique, mental et social ». Par une thérapeutique globale et consciencieuse, l’ostéopathe va multiplier, amplifier toutes les ressources de l’organisme participant à l’autoguérison, au bien-être et à la conservation de la santé, donnant ainsi aux seniors l’opportunité d’optimiser la qualité de leur état général, et donc de vieillir le plus tard, le plus harmonieusement, le plus sainement… et le plus jeune possible !

Francisco Donoso
Directeur